7/28/2021
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Romain Davesne

Anne-Sophie Alibert (Pur Projet) : « Le domaine du sport est parfois en injonction contradictoire »

A travers son projet ambitieux de repenser et compenser l'impact carbone dans le milieu du sport professionnel, c'est au tour de « Game Earth » de fédérer, comme le fait « Pur Projet » depuis 2013 dans le monde de l'entreprise.

Née il y a douze ans suite au constat dressé par Tristan Lecomte, fondateur d'Alter Eco, sur la nécessité du monde de l'entreprise de participer à l'effort global sur les questions environnementales, Pur Projet s'apparente aujourd'hui à un puzzle géant.

Un immense maillage aux quatre coins du Globe dans lequel entreprises et « producteurs » locaux du monde agricole agissent en partenariat pour la préservation et l'amélioration de leurs écosystèmes. Les entreprises participent ainsi la compensation de l'empreinte carbone, à travers « l'Insetting », et les producteurs bonifient leurs méthodes de fonctionnement tout en préservant leur environnement.

Chargée de créer un maximum de connexions entre PUR Projet et d’autres organisations engagées pour le climat et l’agriculture, Anne-Sophie Alibert est donc un précieux maillon de cette chaîne qui tire sa force par son nombre grandissant de projets.

Le nouveau partenariat entre « Game Earth » « Pur Projet » était l'occasion de recueillir son point de vue sur l'importance de ce cercle vertueux que « Game Earth » va tâcher de retranscrire dans le monde du sport professionnel.

© Bela Geletneky / Pixabay


Anne-Sophie Alibert, avez-vous noté une évolution au fil des années dans la manière avec laquelle les grosses entreprises intègrent la problématique du climat dans leur fonctionnement ?

Il y a un déclic très fort. Les entreprises comprennent de plus en plus qu'elles dépendent de la nature, et que sans elle, il n'y a pas d'économie possible, pas d'activité, pas d'interaction humaine possible. Les entreprises dépendent des services écosystémiques que donne la nature. Aujourd'hui, les projets qu'elles vont soutenir ont un rôle pour l'entreprise qui va au-delà de la simple compensation. On a beaucoup d'entreprises qui cherchent à monter des projets dans leurs territoires, avec les producteurs, le monde agricole, qui participe à leurs chaînes d'approvisionnement. On note une connexion de plus en plus forte entre les projets et les entreprises. C'est une très bonne chose parce que c'est gage de durabilité et d'un meilleur impact, je pense, puisque l'entreprise qui sent qu'elle a un intérêt plus fort va peut-être mettre davantage de moyens et surtout s'engager à plus long terme, en étant patient vis-à-vis des projets et ça c'est très important.

La patience est essentielle...

Ce n'est pas en un an qu'on restaure des terres dégradées, ou qu'on peut constater l'impact d'un projet, ça prend du temps. Il y a aussi cette dimension temporelle que les entreprises commencent à intégrer davantage, avec notamment des trajectoires climat à l'horizon 2025-30, qui participent aussi à cette projection à plus long terme des entreprises dans les projets, à cet effort, peut-être aussi avec plus d'ambition. Avant, il y avait aussi beaucoup de compensation autocentrées, portées sur le passé. Les entreprises commencent à voir les choses de manières plus globales. C'est plutôt un bon signal.


Qu'est ce qui fait la force de l' « Insetting » comme modèle de compensation ?

C'est un modèle contributif que l'entreprise va mettre en place. Elle va contribuer à des écosystèmes dont elle dépend, que ce soit le producteur, la coopérative, la communauté qui va produire pour elle. L’intérêt pour l'entreprise est multiple. Quand on est vraiment sur un sujet agroforesterie, ou dans certaines matières premières très à risque face au changement climatique, comme le café ou le cacao, mais il y en a d'autres, investir dans de meilleurs pratiques agricoles, c'est une garantie de pouvoir continuer à s'approvisionner en qualité et en volume dans cette matière-là.

Ça permet de renforcer les liens avec les producteurs et avec les coopératives. Donc c'est aussi une garantie autour de la résilience de l’entreprise et sa capacité à produire dans un contexte où les petits producteurs, qui constituent la majeur partie des producteurs dans le monde, sont vraiment à risque face au changement climatique dans certaines régions, où on sait qu'à horizon 10 ans, si on n'introduit pas l'arbre et des pratiques agricoles plus durables, si on ne finance pas ce type de projets, puisque les producteurs n'ont pas toujours les moyens de le faire, les agriculteurs vont devoir, soit arrêter, soit bouger, soit changer de type de production. Et pour l'entreprise, c'est une déstabilisation de ses activités. Donc, il y a cet aspect résilience de la chaîne d'approvisionnement.

C'est peut-être aussi l'occasion d'une meilleure transparence et d'un meilleur suivi auprès des producteurs. On a évidemment la dimension « communication » autour de la marque, un aspect qui est valorisé par les consommateurs. Il ne faut l'oublier. Il ne faut pas prendre ça pour du « Green Washing ». Les entreprises prennent aussi des risques quand elles soutiennent des projets à long terme qui dépendent parfois de pas mal d'aléas climatiques et aussi parfois sociaux.


L'approche est globale, de l'évaluation jusqu'aux actions de compensation et de bonification...

L' « l'insetting », c'est la compensation de l'impact de l'entreprise au sein de sa chaîne de valeurs. Si on est sur le sujet de l'empreinte carbone, avec une entreprise qui désire aller sur une trajectoire net zéro émission à l'horizon 2030 et s'y tient dans sa chaîne d'approvisionnement, ça donne aussi une meilleure capacité à tenir ses engagements au long cours, plutôt que d'acheter des crédits carbones à bas coûts avec les risques qu'on connaît. Là, l'entreprise va finalement construire un actif stratégique.

Un actif pas encore visible à court-terme ?

Aujourd'hui, ce n'est peut-être pas encore flagrant. Mais quand on commencera à mesurer l'impact de ces actions dans dix ans, le succès ou non de telle ou telle stratégie climat, « l'insetting » parviendra à être mieux valorisé, comme un actif stratégique que l'entreprise a construit dans le temps. Car les arbres n'appartiendront pas à l'entreprise, mais c'est bien celle-ci qui aura permis par son financement la séquestration et les crédits carbone. Je pense que ce sera très valorisé.

Pur projet va être capable de travailler en amont sur la chaîne de valeurs agricoles d'une entreprise, l'analyser, identifier les communautés auprès desquelles travailler, aller sur le terrain pour faire une étude de faisabilité, mettre en place le projet et garantir une gouvernance et aussi une structure économique qui tient la route sur plusieurs années. On n'est pas là pour planter des arbres et les faire grandir, mais surtout pour faire en sorte qu'ils apportent leur bénéfice à l'environnement mais aussi à la communauté.

Absent au sein de ce « maillage » d'organisations et d'entreprises engagées pour le climat et l'agriculture, le domaine du sport et du divertissement sportif professionnel représente-t-il un enjeu particulier pour les années à venir pour « Pur Projet » ?

En effet, ce qu'on constate ces derniers temps, c'est l'investissement de sportifs au niveau individuel, par conviction. On a par exemple eu la chance d'avoir Alizé Cornet, qui soutient l'un de nos projets en Méditerranée, au sein du programme « Ici on sème », et qui avait le souhait de compenser ses émissions associées à ses déplacements.

On voit bien l'envie de voir le système global évoluer. Alizé nous disait qu'elle ne pouvait changer d'elle-même sa pratique professionnelle, et que son impact dépendait fortement du système global. On sent que les JO portent aussi cette envie de s'impliquer en tant qu'événement au niveau des aspects sociaux et environnementaux.

C'est l'objet de ce partenariat avec « Game Earth » ? Mesurer l'impact à la source de ce « système » ?

C'est en effet hyper important que des organisations comme « Game Earth » jouent sur le système, et parviennent à fédérer des fédérations et différentes organisations sportives, avec l'idée de le transformer. Le domaine du sport est parfois en injonction contradictoire, parce que les sportifs ont besoin de la nature mais contribuent aux risques associés au changement climatique en se déplaçant aux quatre coins de la planète.

Pour nous, l'objet de ce partenariat est de participer à quelque chose qu'on n'avait encore jamais vu jusqu'à présent, et qui nous a beaucoup motivé. A savoir que « Game Earth », en tant que fonds de dotation et entreprise qui va conseiller les fédérations et organisations, a défini un prix à la tonne d'émissions carbone à 100 euros, un chiffre qui est beaucoup plus élevé que la norme, avec un découpage du coût à la tonne affecté à différentes actions dont Pur Projet. Ce mécanisme-là, de fixer un prix assez ambitieux, et de l'affecter à des actions de réduction et de contribution climat nous a vraiment motivé. C'est de la contribution climat positive, à grande échelle.

Concrètement, ce partenariat se matérialisera comment ?

Ce qui est intéressant pour nous, c'est de pouvoir avoir un impact via notre projet « Jubilacion Segura » au Pérou, qui est un projet certifié carbone, où on va compenser les émissions en séquestrant du carbone pour le compte d'acteurs comme les sportifs qui vont travailler avec « Game Earth ». On va aussi ajouter une dimension territoriale à travers le programme « Ici on sème », pour rapprocher cette contribution climat des organisations, en allant dans les territoires français pour créer des puits naturels de carbone.